Pourriez-vous dâabord nous recontextualiser la publication de ce rapport qui annonçait une Ă©pidĂ©mie mondiale et la façon dont vous avez Ă©tĂ© amenĂ© Ă le commenter ? Oui, je dois quelques explications Ă nos lecteurs sur ce rapport de la CIA qui me donne un peu le statut de prophĂšte. [rires] Je rappelle dâabord que les rapports de la CIA Ă©taient rĂ©guliers, ils avaient lâhabitude dây Ă©voquer la situation gĂ©opolitique avec des questions comme La Russie va-t-elle rester dans une semi-dĂ©mocratie ou va-t-elle connaĂźtre un Ă©pisode autoritaire ? Ou dâautres questions comme la Chine reprĂ©sente-t-elle une menace ? ». Des questions pour lesquelles jâavais une certaine compĂ©tence. Les Ă©ditions Robert Laffont me demandaient alors dâĂ©crire des introductions oĂč je prenais position sur ce que racontait la CIA. Cela intĂ©ressait beaucoup de monde, câĂ©tait une idĂ©e trĂšs intelligente de la CIA. Au lieu dâenvoyer ce genre de rapport Ă quelques personnalitĂ©s triĂ©es sur le volet, lâidĂ©e Ă©tait de sâadresser Ă lâopinion publique et de la prendre Ă tĂ©moin, de se mettre au service du public. Que prĂ©disait ce rapport ? Quel Ă©tait le scenario ? Je lâavais moi-mĂȘme oubliĂ©, mais le terme corona » apparaĂźt dans ce texte Ă©crit dĂšs 2005. Corona » est un terme codĂ© qui Ă©tait utilisĂ© par les Ă©pidĂ©miologistes en AmĂ©rique pour nommer ce quâils considĂ©raient comme la pandĂ©mie ultime. De pandĂ©mie en pandĂ©mie, nous allions avoir une pandĂ©mie qui allait vĂ©ritablement sâĂ©tendre Ă la Terre entiĂšre. Pourquoi ? Et bien parce que la mondialisation avait atteint un stade trĂšs avancĂ©. La CIA mettait en garde, et jâĂ©tais plutĂŽt dâaccord. JâĂ©tais assez critique, non pas de la mondialisation que je considĂ©rais comme un phĂ©nomĂšne inĂ©vitable et qui comporte de nombreux Ă©lĂ©ments trĂšs positifs, mais elle avait aussi des Ă©lĂ©ments nĂ©gatifs. Par exemple, et câĂ©tait ce Ă quoi la CIA Ă©tait dĂ©jĂ sensible, le fait que les Etats-Unis, pour des raisons de coĂ»ts de court terme, sâĂ©taient complĂštement mis Ă la disposition de la Chine qui fabriquait pratiquement tous les produits pharmaceutiques dont lâAmĂ©rique avait besoin. Le pays avait quasiment tirĂ© un trait sur son industrie pharmaceutique, quâil faisait faire Ă lâĂ©tranger. La CIA disait dans ce rapport que ce nâĂ©tait pas trĂšs sage. Dans mes commentaires Ă lâĂ©poque, jâabondais dans ce sens parce que je savais que la France avait la tentation de le faire aussi. Elle lâa dâailleurs fait malheureusement. Il fallait maintenir un certain nombre de productions stratĂ©giques et de stocks nĂ©cessaires sur place. Dans ce rapport, les prĂ©cisions sur le virus, sur son mode de propagation, sont saisissantes⊠apparition dâune nouvelle maladie respiratoire humaine virulente, extrĂȘmement contagieuse », voyageurs prĂ©sentant peu ou pas de symptĂŽmes » qui pourraient transporter le virus sur les autres continents ». Comment cela a-t-il Ă©tĂ© possible ? Parce que câĂ©tait dĂ©jĂ arrivĂ©. Cela nous ramĂšne aux livres de Tom Clancy qui lui aussi Ă©crivait Ă partir de lâexpertise de la CIA. Il racontait de maniĂšre effrayante une Ă©pidĂ©mie dâEbola. Et effectivement, Ă lâĂ©poque, Ebola nâĂ©tait pas du tout maĂźtrisĂ©. Entre temps, les Instituts Pasteur et leurs Ă©quivalents ont trouvĂ© le vaccin pour Ebola, ce qui est presque un miracle. Nous nâavons plus dâEbola, mais nous avons cette maladie qui est Ă la fois effrayante parce que nous nâavons pas encore trouvĂ© le vaccin mais beaucoup moins dangereuse du point de vue de la mortalitĂ©. Au moment de la sortie de ce rapport, quelles ont Ă©tĂ© les rĂ©actions internationales ? A-t-il Ă©tĂ© pris au sĂ©rieux par les autoritĂ©s des diffĂ©rents pays ? Il nây a eu aucune rĂ©action ! Aucune ! Parce que câĂ©tait un rapport parmi dâautres. Et certainement pas en France. On nâa rien fait de particulier et câest vrai de tous les pays europĂ©ens. CâĂ©tait chacun pour soi et tout le monde Ă©tait tout Ă fait insouciant. Il y avait un sentiment, comme toujours quand on avance, oĂč on pense que cela nâarrive quâaux autres. Dans ce rapport, la suite envisagĂ©e fait froid dans le dos. Il Ă©voque de nouveaux cas de coronavirus qui apparaitraient par vague, trĂšs rĂ©guliĂšrement et qui finiraient par tuer des millions de personnes⊠Quel crĂ©dit peut-on accorder Ă cette thĂ©orie ? Je pense que la CIA a voulu provoquer un choc Ă©motionnel Ă ses lecteurs. Leur disant, si vous ne faites rien, ces drames viendront et ne viendront pas une fois mais Ă plusieurs reprises. Câest parfaitement possible, sauf que maintenant que nous avons connu cette pĂ©riode de pandĂ©mie mondiale avec la premiĂšre conjoncture mondiale qui affecte la totalitĂ© de la Terre, cela peut changer la donne. Câest quand mĂȘme renversant de penser que nous sommes tous, au mĂȘme moment, au mĂȘme endroit, arrĂȘtĂ©s. Et lĂ je pense aux mots de mon maĂźtre Louis Althusser ndlr philosophe qui avait lu cela chez Hegel, le philosophe allemand lâhumanitĂ© avance toujours, mais toujours par sa nĂ©gativitĂ©. » Câest-Ă -dire que câest toujours par un phĂ©nomĂšne nĂ©gatif que des phĂ©nomĂšnes par ailleurs massivement positifs arrivent, comme le fait que lâhumanitĂ© est Une et que maintenant nous sommes tous dans le mĂȘme bateau. Et bien pour y arriver, nous sommes passĂ©s par cette pandĂ©mie. Comment trouvez-vous lâorganisation du monde face Ă cette crise ? De nombreux Etats ont fermĂ© leurs frontiĂšres⊠Les Ă©conomies se referment sur elles-mĂȘmes⊠Lâheure est-elle au repli ? Cette crise sonne-t-elle le glas de la mondialisation ? Pas du tout ! Les gens voient Ă quel point le repli, indispensable en ce moment pour prĂ©venir lâĂ©pidĂ©mie, est grave pour les sociĂ©tĂ©s et pour les Ă©conomies. Les gens sont certes prĂ©servĂ©s des pires flĂ©aux, mais ils sont pauvres ! Ils sont appauvris comme nous le sommes aujourdâhui dans toute lâĂ©conomie française par ces mesures de containment » ndlr endiguement qui sont nĂ©cessaires. Toutes les entreprises qui font faillite ou toutes celles qui ont des dettes Ă©pouvantables, le voient bien aujourdâhui. Donc on comprend comment le protectionnisme, les circuits courts, etc⊠Ce sont surtout les cerveaux courts, les circuits courts ! Toute la classe politique française, jusquâau plus haut niveau de lâEtat, nous annonce un AprĂšs⊠DiffĂ©rent sur le plan idĂ©ologique, Ă©conomique, social⊠Vous croyez Ă une rĂ©volution ? Un tournant ? Cela vous semble-t-il possible ? Oui je le crois. Nous sommes sur une pente ascendante. Je le sens. Pendant la guerre, on a vu tant de Français et de braves gens qui sans mot dâordre dâorganisations de rĂ©sistance, encore Ă peine dĂ©veloppĂ©es, ont eu les bons gestes. Cacher des juifs, cacher des rĂ©sistants, cacher le ravitaillement que les Allemands pillaient de façon Ă©hontĂ©e⊠Tout cela, ce sont des gestes de survie de la sociĂ©tĂ© qui ont fait une autre sociĂ©tĂ© en 1945. Nous avons eu une sociĂ©tĂ© beaucoup plus fraternelle et beaucoup plus courageuse dans laquelle des gens jeunes ont remplacĂ© des gens trop ĂągĂ©s et qui ont insufflĂ© ce quâon a appelĂ© Les Trente Glorieuses ». Ce genre de phĂ©nomĂšne, nous lâavons dĂ©jĂ connu. Et dramatiquement, puisquâil sâagissait lĂ dâune tragĂ©die sans prĂ©cĂ©dent. Vous imaginez le choc quâa Ă©tĂ© 1940, pour une France qui se pensait encore comme une grande puissance mondiale. Et du jour au lendemain, cette chute ! Puis cette remontĂ©e avec le GĂ©nĂ©ral de Gaulle. Il nây a pas de De Gaulle en France aujourdâhui mĂȘme si je trouve que notre PrĂ©sident Macron se dĂ©brouille avec beaucoup de courage et beaucoup de sang-froid dans une situation trĂšs difficile. Et dâailleurs les sondages le prouvent. Les Français se disent heureusement quâil est lĂ quand mĂȘme ! ». Un certain nombre de querelles sont en train de sâĂ©teindre et elles ne reviendront plus. Cette pĂ©riode de profonde amertume que vous voyez Ă travers le monde est en train dâĂȘtre dĂ©passĂ©e. Quelles pourraient ĂȘtre les consĂ©quences de cette crise mondiale sur le plan politique et gĂ©opolitique ? Imaginez-vous une montĂ©e en puissance de leaders populistes ? DâEtats totalitaires ? Vers qui, vers quoi les peuples auront-ils envie de se tourner ? Ils vont se tourner vers des hommes politiques rationnels qui nâont pas racontĂ© nâimporte quoi, qui nâont pas sombrĂ© dans lâhystĂ©rie, qui ne sont pas roulĂ©s par terre devant le public. Ils vont se tourner vers des hommes politiques, qui tout en Ă©tant des gens raisonnables, sont aussi des gens qui savent faire preuve dâautoritĂ©. LâautoritĂ©, ce nâest pas la dictature et câest exactement ce quâon souhaite aujourdâhui. On a bien vu aux Etats-Unis comment Franklin Roosevelt - dont les rĂ©actions nâĂ©taient pas toutes trĂšs bonnes et qui nâĂ©tait pas un homme exemplaire - a maintenu les Etats-Unis dans une dĂ©mocratie oĂč les Ă©lections se sont tenues, oĂč la libertĂ© dâexpression nâĂ©tait pas Ă©touffĂ©e alors quâil a menĂ© la guerre la plus importante de toute lâhistoire amĂ©ricaine et quâil lâa gagnĂ©e. Cet exemple qui est aussi celui de Winston Churchill en Grande-Bretagne, câest la preuve que les dĂ©mocraties sont capables dans des circonstances exceptionnelles de faire les sacrifices et de manifester une certaine forme dâautoritĂ© sans sacrifier les libertĂ©s fondamentales. Nous sommes dans un monde pluraliste, un monde qui nâest pas encore unifiĂ© par une dĂ©mocratie unique et gĂ©nĂ©ralisĂ©e, mais qui va dans le bon sens, câest Ă©vident ! Vous ne voyez pas dans cette crise du Covd-19 un risque de dĂ©stabilisation gĂ©opolitique et celui dâune multiplication de conflits armĂ©s ? Non, au contraire, je vois lâinverse. Je vois par exemple que devant la difficultĂ© que traverse le Moyen-Orient, nous avons une coopĂ©ration, Ă©videmment forcĂ©e et Ă©videmment grommeleuse, mais qui naĂźt aujourdâhui les IsraĂ©liens et les Palestiniens par exemple, parce quâils sont exactement dans le mĂȘme bateau, que la maladie est la mĂȘme. Il y a autant dâIsraĂ©liens qui voyagent aux Etats-Unis ou en Inde ou ailleurs quâil y a de Palestiniens qui sont en contact avec des Libanais, et avec des Syriens ou des Iraniens, mais le rĂ©sultat est le mĂȘme, la maladie est dans tout IsraĂ«l, et IsraĂ«l est dans le confinement comme tout le monde, et ils sont en train de trouver une voie dâunion nationale et un compromis. A la lueur de ce que vous savez, de ce que vous observez, et pour terminer cette interview comme on lâa commencĂ©e, câest-Ă -dire sur de la prospective comment imaginez-vous le monde en 2040 ? Je pense que dâici 2040, nous allons vers des transformations Ă©normes. Hitler qui Ă©tait trĂšs superstitieux croyait au Reich de mille ans, parce quâun certain nombre de voyants lui avaient dit quâaprĂšs cette grande Ă©preuve quâest la guerre, il mĂšnerait un monde millĂ©naire et ce serait la grande Ă©poque de lâAllemagne. En fait lâAllemagne a explosĂ© Ă la suite de ses folies et nous nâavons pas eu ce monde millĂ©naire. Mais en mĂȘme temps, ce qui est vrai, câest quâau lendemain de ces Ă©preuves terribles auxquelles nous sommes confrontĂ©es, se prĂ©parait quelque chose dâautre. Et ce quelque chose dâautre » est lĂ maintenant. Nous sommes dans un monde qui va se libĂ©rer des hydrocarbures, qui va trouver des moyens de produire beaucoup plus proprement, qui a compris que la nature ne nous appartient pas⊠Bref ! Nous sommes dans un monde qui est en train de prendre connaissance dâun certain nombre de nos folies et notre grande folie, on la connaĂźt depuis toujours, câest la folie PromĂ©thĂ©enne celle qui a donnĂ© le feu aux Hommes, câest bien ! MĂȘme de nous donner lâatome, câĂ©tait pas mal ! Mais avec des dangers trĂšs grands ! Ces dangers, nous en sommes enfin conscients, câest cela qui se passe Ă lâĂ©chelle mondiale. Public Senat 24/03/2020
Maispas de lâintuition comme une sorte de doux rĂȘveur, de lâintuition pour le devenir du monde, et comment on peut vivre mieux dans le monde dâaprĂšs demain. De la mĂȘme maniĂšre que aprĂšs la guerre, il a anticipĂ© avant tout le monde, il a fait le voyage en AmĂ©rique pour essayer dâavoir le marchĂ© du verre parce quâil savait que